jeudi 1 novembre 2007

Episode 12: Un homme à la mer

On était là, en silence, à se regarder dans le blanc des yeux, affalés sur nos sièges la bouche entrouverte, tel des merlans agonisant sur un tapis de glace dans un sombre entrepôt des docks.
Sauf que nous, on n'avait pas raté la coupe du caïd du coin.
Quoiqu'il en soit on était comme dans un duel verbal, où le premier qui dégainerait flinguerait l'ange qui passe.
Et j'avais toujours eu la gâchette facile, sauf que deux de mes interlocuteurs n'étaient pas du genre petit calibre au niveau de la parlote, il faisait plus dans la gatling. Heureusement que Blacker portait toujours son silencieux, ça me faisait moins de balles à éviter.

Quoi qu'il en soit je me risquais à tester l'assistance d'un simple "alors ?"
Et je crois bien que je n'ai même pas eu le temps de la ponctuation avant de me retrouver sous le feu nourri verbal de Mulot et la gazette.
Comme à mon habitude je laissais passer le flot de la première vague en essayant d'attraper quelques miettes de phrases au passage.
De son coté Blacker restait de marbre, comme à son habitude. Tout en le regardant, je me disais qu'il avait sûrement été une pierre tombale dans une autre vie.
J'essayais de me raccrocher à lui du regard pour ne pas être englouti par la déferlante de paroles qui s'échouaient sur moi. Mais il leva les yeux au ciel en haussant les épaules, l'air de dire, désolé vieux, je peux plus rien pour toi.
Et c'est la que je perdis pied pour sombrer dans un maelström de mots sans fin.

Soudain Blacker lâcha lourdement son carnet sur la table. Il n'avait pas besoin de parler, le silence de Blacker était plus assourdissant que n'importe quel cri.
La Gazette et Mulot avaient immédiatement arrêté de parler, mais je crois bien qu'à ce moment là toute la taverne avait cessé de respirer.
C'était ça la force de Blacker, son éloquence silencieuse.
Il n'avait nullement besoin de parler, de lever la voix ou de menacer. Il lui suffisait de rester là planter devant cous à simplement vous regarder, et vous lui révéliez dans la seconde tous vos secrets les plus inavouables.

Je ne savais pas grand chose sur Blacker, et pourtant j'étais sûrement la personne qui en savait le plus sur lui, c'est à dire rien. Même la gazette avait fait chou blanc dans ce domaine.
La seule chose que j'avais pu découvrir sur lui, pratiquement par chance, c'est que son père était psy. Et Blacker m'avait très vite fait comprendre que je ne devais pas essayer d'en savoir plus.
Mais ce jour là, je compris d'où lui venait son don, et surtout où il avait débuter son fameux carnet.

Quoiqu'il en soit c'était sans nul doute, le plus futé de la bande, et je crois bien que tous le voyait un peu comme leur chef. Et j'avoue que parfois, j'étais moi même à deux doigts de lui faire mon rapport.
Si il avait eu de l'ambition, il aurait certainement grimpé les échelons de la hiérarchie plus vite qu'un pitbull en rut sur la jambe d'un facteur.
Mais comme il disait, le grade, c'est mauvais pour les affaires, et ses affaires étaient florissantes à en voir son sourire quand ils les mentionnaient.

Son bras fendit l'air dans une posture majestueuse en direction de la Gazette, l'invitant ainsi à s'exprimer. Ce dernier balbutia quelques mots tel un valet tremblant devant son roi, puis se retourna vers moi.

" Donc oui, je disais Capitaine, que j'avais eu beaucoup de mal à retrouver la trace de cette Vera, il semble qu'elle avait disparu quelques temps il y a plusieurs mois, avant de refaire surface sur la scène du Blue Beard Bar. C'est là qui, selon les rumeurs, elle aurait rencontrer votre homme et se serait enfui avec lui. "

Il s'arrêta là, trépignant sur place comme un diabétique devant une confiserie, je savais qu'il en savait plus, et il savait sûrement lui même que je le savais. C'est pour cela qu'il s'était tu, La gazette ne s'arrêtait de parler que pour qu'on lui demande de l'ouvrir.

" Je sais déjà tout ça crache le morceau, t'as trouvé quoi ? "

Il exultait fier comme si il avait perdu son pucelage, et moi j'étais là pendu à ses lèvres, prêt à recevoir ce qu'il avait à me donner.

" Accrochez vous bien Capitaine, ils n'auraient pas quitter la ville, un habitué du Blue Beard aurait aperçu Vera pas plus tard qu'hier dans le quartier des dogmes. Vous savez ce que ça signifie. "

Je bazardais mon galurin sur la table tout en me fracassant sur le dossier de ma chaise.

" Ouais ça signifie que ça sent pas bon, les dogmes c'est le quartier judiciaire, et je doute qu'une chanteuse de cabaret y aille pour se faire une manucure. Si elle était là bas c'est soit qu'elle cafardait Bergère aux instances, ou bien qu'elle sert d'intermédiaire à Bergère pour balancer un plus gros poisson dans leur filet. Dans les deux cas, c'est très mauvais. "

J'étais à mes réflexion lorsque Blacker attrapa son carnet sur la table et en tourna les pages de manière hypnotique.
Il stoppa sur une en particulier en s'exclamant : " je crois que c'est à mon tour "

( à suivre )

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